19 mars 2017

La boulimie



Après avoir écrit l'article "mon combat contre l'hyperphagie" j'ai décidé de rédiger un nouveau texte sur le mal qui me ronge parfois. Parce que c'est dur, parce que c'est long et que l'écriture est un joli médicament temporaire.

La boulimie, c'est un truc pas cool qu'on attrape dès nos plus jeunes années. Un trouble, un excès qui est en fin de compte reconnu comme maladie. Trop souvent, on croit que c'est lié aux vomissements et le monde à tord : la boulimie en plus d'être tenace, c'est complexe. Dans l'univers des troubles alimentaires ont retrouve des catégories distinctes comme les fondations d'une maison et puis les finitions, les détails dont on s'occupera plus tard par ce qu'à première vue ça n'a pas l'air si grave.
 Les jeunes filles sont sensiblement touchées mais les hommes sont oubliés.

Je suis boulimique. Boulimique hyperphagique à tendance orthorexique exactement. Ce nom à rallonge qui met enfin des mots sur les ressentiments. Au début, on pense que c'est seulement le corps qui est affecté comme si on voulait faire croire que l'esprit est déconnecté. Et ensuite on comprend que c'est uniquement psychologique. C'est à ce moment précis qu'on a cette impression de devenir fou. "Mais alors est ce que je suis tarée?". On se pose mille et une questions et la seule réponse sur laquelle on se met d'accord c'est qu'il est temps de guérir.

Je ne suis pas obèse. Je ne suis pas maigre. A première vue, j'ai un corps banal. La société ne me trouve pas vraiment grosse, juste "normale". Un mot qui revient sans cesse et qui nous conforte dans l'idée que quelque chose cloche sans que nos proches n'osent nous l'avouer. Certains pensent que tu es seulement un peu trop gourmande, les autres que tu ne te dépenses pas assez. Depuis mon adolescence, mon enveloppe corporelle joue au yoyo : il grossit, maigrit puis regrossit en fonction de mes phases boulimiques. Je n'ai le contrôle de rien et c'est terrifiant. Je ne suis pas accro à la nourriture, j'en suis dépendante en fonction de mes émotions. Lorsque j'ai écrit l'article précédent, je me sentais un peu mieux dans mon corps et à quel prix ? J'ai même essayer pendant un mois d'éviter sucre, sel et mauvais gras tel un sevrage inutile. Suite à cet essai catastrophique, s'est succédé deux phases hyperphagiques dans lesquelles j'ai eu beaucoup de mal à sortir. Me revoilà quasiment au point de départ. Entre temps, j'ai entamé une thérapie en hôpital.



Comment la majorité peut comprendre un mal qui nous ronge sans pour autant prendre ça pour de l'empathie et du mensonge ? Très longtemps, j'ai voulu me mentir ; le vomissement était la faible barrière à ne pas franchir pour ne pas sombrer dans les travers de la maladie. En réalité, je le suis depuis presque toujours, seulement les symptômes sont ressortis quand on prend conscience de l'impact du beau autour de nous. La société est-telle coupable, les gens le sont-ils ou alors est ce que ce sont mes parents ? On a beau chercher des éléments déclencheurs, finalement ce qui compte c'est comment on va s'en sortir et pas comment ça a pu te tomber dessus. Avant je ne parlais jamais de ces crises à répétition. La honte s'engouffrait dans le flot de la culpabilité. Il fallait que je relativise, je devais relativiser car j'avais tout quand d'autres n'avaient rien. Comment oser se plaindre d'une prétendue maladie sans répercutions physiques quand j'ai eu le droit de naître dans une famille relativement saine, un toit sur la tête, l'accès à l'éducation et le frigo remplit toutes les semaines ?

Nos actes sont influencés par qui nous sommes à l'instant T de ces actions. J'ai souvent peur de temps, encore plus quand je vois fleurir cette image de moi à 40 ans, une vie vide de sens, un corps rempli de gras et un sourire si artificiel scotché en plein milieu d'un visage tellement triste. Comment réussir à expliquer ce phénomène sans paraître faible, superficiel et égoïste ?  Je hais mon corps. Je le déteste au point de pleurer parfois honteusement face au reflet du miroir, de faire des crises de panique dans les magasins sans comprendre pourquoi ce que j'adorais autrefois est devenu un fardeau. Je n'ai plus envie de sortir. Plus envie de parler, parce que tout ce que j'aimerais dire c'est hurler au monde que je ne vais pas bien, que c'est constant, que ça me consume et que ça ne s'apaise jamais.

Il n'y a pas de description figée à ce sentiment, pas de douleur physique. Simplement, des pensées qui tournent et qui s'arrêtent pour finalement repartir du début sans continuer leur chemin. Comme ton vieux disque de rock qui après deux bons morceaux et le début du 3ème, ton préféré, stoppe et se bloque pour s'en aller vers la piste 1. Ma vision du monde est malgré moi manichéenne d'une certaine façon : les minces ont réussi, les gros sont destinés à l'échec et je suis dans la deuxième catégorie. Je n'ai jamais appris à m'aimer à ma juste valeur, j'ai toujours entendu qu'il fallait toujours se remettre en question pour s'améliorer sans essayer d’apprécier la personne que l'on est dans sa globalité. Cette sensation que rien ne t'ai mérité. Se rabaisser en rigolant avant même que la personne en face n'ai eu le temps de sortir le moindre mot. Se cacher. Ne pas oser. Ne pas se plaindre. Eviter les regards. Avoir honte.



Mais l'essentiel, c'est que la boulimie on peut s'en sortir. A 21 ans, j'ai décidé que ma vie venait à peine de commencer. Qu'il est encore temps pour ne pas la gâcher. On a le droit de ne pas être ok. On a le droit de ne pas être parfait. On doit relativiser tout en faisant face à nos problèmes existentiels. A 21 ans, je sais que mon corps va encore changer. Je n'ai plus peur d'en parler, plus honte de prononcer les mots interdits. A tous ceux qui sont atteints de TCA, parlez-en. Et en attendant, aimez-vous.
4 commentaires on "La boulimie"
  1. Avoir le courage d'en parler c'est beau

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  2. Aime toi, profites de la vie, et surtout sache que tu n'es pas toute seule dans ton cas. <3

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